Tout le monde y va de sa plume à propos des fuites de Wikileaks et des réactions politiques. Comme lu dans de nombreux blogs (notamment les excellents articles de Stéphane Bortzmeyer, de Jean-Noël Lafargue, de J.M. Planche, ou encore d’Authueil) beaucoup de monde a l’impression qu’une bascule est entrain de s’établir. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce n’est pas le contenu de Wikileaks qui est en jeu, mais plutôt l’avenir de la presse et de la liberté d’expression sur Internet. Rien de moins.
Beaucoup de personnes ont pris la défense de Wikileaks, non pas parce que les révélations du cablegate sont fracassantes, mais bel bien en raison de l’acharnement sur Wikileaks. Cet acharnement n’est pas sans conséquences:
- Le contrôle d’Internet. En effet, malgré ce qu’on peut lire, les révélations de Wikileaks semblent bien n’avoir rien d’illégal, Wikileaks étant un organe de presse (enregistré en tant que tel en Islande). De plus, les précédents de divulgation d’informations secrètes du gouvernement américain, notamment du New York Times, vont dans le sens de la protection des sources et de la légalité de publication des informations. Alors où est le problème ? Les journaux révélant les télégrammes américains ne sont pas poursuivi avec autant d’acharnement… Wikileaks représente la nouvelle génération, cette chose moderne, vivant sur l’Internet incivilisé que beaucoup de politiciens ne comprennent pas. Et comme à chaque rupture, ce qu’on ne comprend pas fait peur. Et on doit arrêter ce qui fait peur. Coûte que coûte. Surtout que cette chose incontrôlable vit sur cet Internet incivilisé, lui aussi particulièrement mal compris, et qui fait peur également. Le prétexte est là, la gravité présentée des faits alimente les discours, il faut donc éviter que cette catastrophe arrive à nouveau. Faisons donc taire Wikileaks, sur ce réseau qu’on ne comprend pas. Et ça passe forcément par le contrôle de ce qui y circule, les prémices étaient là (projets de lois LOPSSI 2 pour chez nous par exemple).
- L’image de la démocratie. Le peuple d’Internet (que je différencie pour l’instant du peuple tout court) est choqué par la tournure des événements. Et comme une bonne partie d’Internet fonctionne grâce à ce peuple d’Internet, il fait ce qu’il sait faire: il réagit. Chacun à sa manière: messages sur les blogs, sur twitter, sur facebook, etc… Ce peuple essaie de faire fonctionner la liberté d’expression comme il l’entend, loin des sirènes politico-marketing. Pour avoir au moins un semblant de démocratie et de lutter contre ce qui lui semble injuste.
- La révolte des geeks. J’aurais pu l’appeler la révolte des informaticiens, mais je crois que c’est plus général que ça. Les geeks, tels que je les entends dans cet article, font partie du peuple d’Internet, mais ils en connaissent le fonctionnement. Et savent agir sur son fonctionnement. Depuis longtemps ils travaillent sur le réseau, quelquefois à contre coeur, en connaissant bien l’extraordinaire liberté qu’il offre. Mais à force de taper sur le geek, de le mettre à la mode (Fillon se voit comme un geek…!?), le geek se révolte. Alors, quel est le danger de l’adolescent boutonneux qui s’amuse derrière son ordinateur pendant que les parents dorment ? Assez faible, sauf que…. le geek n’est plus cet adolescent depuis longtemps. Le geek travaille sur Internet, le geek fait tourner Internet, héberge les sites gouvernementaux, fait tourner les usines, les infrastructures (électricité, télécom, transports, eau…). Si le geek met un grain de sable dans les rouages, tout ce qui tourne sur des ordinateurs s’arrête, le monde s’arrête. J’exagère un peu, mais le pouvoir que les geeks ont entre les mains est absolument gigantesque.
Alors, d’un coté on a des gouvernements, préoccupés par leurs problèmes, dans leur sphère qu’ils veulent impénétrable, à traiter de choses trop importantes pour que les gens de la base, le peuple, ne puisse le comprendre, à leur cacher ces choses là.
De l’autre coté on a un peuple maîtrisant le fonctionnement de l’Internet, las de voir se détruire les démocraties dans lesquelles ils ont grandi, las de voir disparaître les libertés qu’ils avaient.
Alors, la célèbre phrase attribuée par erreur à Voltaire, se trouve magnifiée, « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous puissiez le dire ». Au résultat, les défenseurs de la liberté d’expression, de la liberté de penser, font front pour permettre à Wikileaks d’exister, de continuer à exister et à vivre.
Quelles seront les conséquences. Sans consulter ma boule de cristal, je dirais qu’elles risquent d’être nombreuses. Que les états, les gouvernants vont vouloir prendre le contrôle à tout prix, de ce réseau incontrôlable. Que le peuple d’Internet va sans doute vouloir rappeler, violemment peut-être, que ces gouvernants ne sont là que pour servir le peuple, et que quand ils ne parlent plus en son nom, ils n’ont plus de légitimité. J’ai bien peur que la guerre des uns contre les autres ne soit pas si éloignée. Wikileaks n’ayant été, au final, que le catalyseur de la révolte du peuple d’Internet. Un conflit de générations en somme.